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Discours de Cyrille Béraud à l’occasion de l’ouverture du Salon du logiciel libre du Québec

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Richard Stallman et Cyrille Béraud au S2LQ 2010

Richard Stallman et Cyrille Béraud au S2LQ 2010

Mesdames, Messieurs, trois grands chantiers attendent le Québec. Ces trois grands chantiers, bien qu’en apparence indépendants, sont en fait étroitement liés, et, j’en ai la profonde conviction, détermineront la prospérité et l’avenir du Québec.

Le premier d’entre eux est le chantier de la connectivité Internet. Le deuxième est celui du logiciel libre, le troisième chantier, celui du gouvernement ouvert. Comme vous le savez, le Québec souffre d’un retard dramatique quant à la connectivité Internet et ce retard se creuse chaque jour avec le reste du monde.

Pourtant, il est clair maintenant pour tous que l’avenir des économies de nos pays passera par le numérique. Il est clair que l’essentiel de nos richesses transitera à travers ces réseaux. Les entreprises ont besoin de réseaux performants pour communiquer avec leurs fournisseurs, avec leurs employés, avec leurs partenaires, mais surtout avec leurs marchés. L’État a besoin de réseaux performants pour se moderniser, fournir des services adaptés et communiquer efficacement avec ses administrés. Des réseaux performants sont également essentiels pour tous les citoyens : l’étudiant pour communiquer avec ses professeurs, pour accéder aux savoirs ; le citoyen ordinaire, chacun de nous qui, aujourd’hui, organise sa vie sociale, exprime ses opinions, s’implique dans la cité à travers ces réseaux. C’est aussi un enjeu essentiel pour le désenclavement de nos régions et pour la maìtrise de notre territoire. Quelle entreprise aujourd’hui serait prête à s’installer dans des régions éloignées sans un accès Internet performant et à moindre coût?

Je le dis en tant qu’entrepreneur, en tant que président d’une Association professionnelle d’entreprises : c’est à la collectivité, pour ne pas dire à l’État, comme pour le réseau routier, d’organiser et de mettre en place ces infrastructures. Il existe des solutions. Le Québec possède un outil puissant qui s’appelle Hydo-Québec. Partout où il y a des fils électriques, nous devons demander à notre compagnie nationale d’y adjoindre de la fibre optique.

Un mot rapide sur l’économie de l’Internet. Deux problématiques très concrètes sont au cœur de son développement : comment alimenter en électricité cette fantastique machinerie et comment la refroidir. Je pense qu’il est inutile ici de rappeler que le Québec possède des atouts considérables et exceptionnels. C’est une question de choix : soit le Québec revend son électricité à bas coût aux provinces et pays voisins, et là-bas se créeront des emplois, de la richesse et du savoir-faire ; soit le Québec utilise son électricité pour bâtir un formidable projet collectif porteur d’espoir, créateur d’immenses richesses et de dizaines de milliers d’emplois. Oui, nous pouvons et devons faire du Québec le centre de l’Internet de l’Amérique du Nord. La question du logiciel libre.

Mesdames, Messieurs. La situation au Québec me fait penser à un vieux et magnifique film japonais que j’ai revu récemment et que peut-être connaissez-vous. Il s’appelle La Harpe de Birmanie. Ce film d’Ichikawa relate l’histoire d’un jeune soldat japonais envoyé, plusieurs semaines après la capitulation, tenter de convaincre une garnison retranchée de se rendre. « La guerre est finie, venez reconstruire notre pays plutôt que de vous sacrifier inutilement au nom de valeurs dépassées. » Voilà le message qui leur adresse. Alors, aujourd’hui, ma harpe c’est ce petit micro, et je viens dire, à ceux qui refuse d’ouvrir les yeux, qu’en termes d’efficacité et de décisions d’affaire, la bataille du logiciel libre est gagnée. Elle est gagnée à peu près partout dans le monde sauf au Québec. Dois-je rappeler que la plus formidable création de richesse de ces dernières années s’appelle Google ? Cette extraordinaire aventure s’est construite grâce au logiciel libre. Dois-je dérouler la liste de ces empires qui se sont constitués en quelques années sur Internet et ont changé notre vie ? Google, Wikipedia, Ebay, Facebook, Twitter, Paypal, LinkedIn…

J’arrête l’énumération de la liste, car ce qu’il y a de remarquable dans cette liste c’est qu’elle ne souffre aucune exception : toutes les innovations technologiques issues de l’Internet de ces dernières années sont construites sur du logiciel libre.

Mesdames, Messieurs, le logiciel libre est la conséquence d’un nouveau cadre juridique qui organise le commerce du logiciel. Il organise ce commerce sous la forme d’un marché libre et concurrentiel. Il s’oppose à l’ancien modèle qui organisait le marché dans une logique de monopoles. Aujourd’hui, la question politique se pose clairement : sommes-nous pour un marché libre et concurrentiel ou pour un marché qui relève d’une logique de constitutions de monopoles dont l’essentielle de la plus-value nous échappe ? Cette question, les responsables politiques du Québec doivent publiquement y répondre et tirer les conséquences de leur réponse.

Le logiciel libre constitue une opportunité unique pour les entreprises québécoises, pour l’indépendance technologique et la compétitivité du Québec. Il est la condition de la modernisation de l’administration publique. Le logiciel libre est un outil de souveraineté et de politique industrielle ; il est un moyen de maîtrise des finances publiques. Parce qu’il est créateur d’emplois locaux et à haute valeur ajoutée, le logiciel libre participe à un développement économique durable. Le logiciel libre assure aux citoyens une utilisation transparente de l’argent public. Il participe à la préservation des libertés fondamentales à l’ère du numérique et au partage du savoir.

Le logiciel libre n’est pas une question de gauche ou de droite, ça n’est pas non plus une question de fédéralisme ou de souverainisme. C’est pourtant une uestion politique majeure. Pour assurer sa prospérité de demain, le Québec doit se confronter à la modernité.

Nous avons les moyens de faire du Québec le chef de file mondial de l’industrie du logiciel libre. C’est en tout cas mon ambition, j’y travaillerai sans relâche. Pour conclure, je voudrais évoquer ce qu’on appelle le gouvernement ouvert. Cette question sera traitée demain en profondeur au cours de plusieurs tables rondes. Elle est essentielle, et ne se résume pas à la mise à disposition par des entreprises privées, des données publiques. Cette question relève davantage, me semble-t-il, tout simplement, de l’appropriation collective de l’informatique libre. Une connectivité Internet qui couvre l’ensemble du territoire associée à une politique ambitieuse d’utilisation de logiciels libres ouvrent la voie à la refondation du pacte social entre les citoyens et l’État. J’invite chacun à réfléchir à ce nouveau type de lien social que les nouvelles générations inventent en collaborant ensemble sur Internet pour construire ces logiciels qui façonnent aujourd’hui notre vie. Un nouveau lien qui s’appuie sur les valeurs de Liberté, de Tolérance, de Travail, de Partage et de Collaboration.

Mesdames, Messieurs, je forme le vœu que le Québec se souvienne. Je forme le vœu que le Québec se souvienne que ce sont précisément sur ces valeurs que ce pays s’est construit à travers le temps. Et, j’en ai l’intuition, c’est précisément parce que les valeurs de la société québécoise faites de liberté, d’ouverture à l’autre, de travail, de partage rencontrent celles du logiciel libre que nous sommes aujourd’hui si nombreux. Ce grand projet collectif qui nous attend, c’est celui de la modernité et de l’espoir, c’est aussi celui du Québec tout entier porté par ses valeurs.


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